PHILOSOPHIE
III. PHILOSOPHIE MORALE - Diversité d'activités humaines
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Socrate - Introduction - Philosophie du Vivant - Philosophie morale - Philosophie première - Philosophie de la communauté

 

L’activité propre à l’homme est celle d’un vivant qui se meut dans ses opérations spirituelles. “Se”: c’est pourquoi:
* Cette activité implique une maîtrise, un “dominium”, que la personne humaine exerce sur son devenir. Cette activité se distingue de l’activité - devenir propre aux réalités physiques, qui sont soumises aux lois physiques que notre intelligence découvre peu à peu;
* Cette activité répugne à la violence, qui impose son action de l’extérieur… toute activité vitale répugne (proportionnellement) à la violence; il faut noter que la violence peut s’imposer soit brutalement – rééducation marxiste en clinique psychiatrique (par exemple) – soit sournoisement par les propagandes, les médias de toutes sortes au service d’une idéologie, d’un pouvoir caché… plus subtile, cette forme de violence n’en est pas moins dangereuse.

L’activité propre à l’homme est celle d’un vivant qui se meut dans ses opérations spirituelles: elle est activité de l’intelligence – donc, lucidement consciente – et de la volonté – donc, orienté vers, finalisée… nous exerçons notre volonté “en vue de”, “pour telle fin à atteindre”. Autolucide - consciente et orienté vers sont les qualités manifestant la maîtrise que nos facultés spirituelles exercent (ou peuvent exercer) sur leur devenir, sur leur activité propre; “peuvent exercer”: car il est rare que cette maîtrise s’exerce avec toute la perfection qui lui est due…

En fonction de leur finalité, nous pouvons distinguer diverses activités typiques:
Activité morale: l’agir humain est orienté vers une fin immanente à la personne: recherche, conquête d’un bonheur vrai, intérieur, personnel, donnant à l’Image-de-Dieu son épanouissement ultime, plénier… sagesse - contemplation, amour d’amitié.
Activité politique: l’agir humain est orienté vers l’acquisition, la réalisation du Bien commun propre à la cité - communauté des hommes… justice, concorde entre citoyens, paix entre nations, miséricorde.
Activité “du faire”: l’agir humain est orienté, ordonné à la réalisation d’une oeuvre artisanale, technique, artistique.
L’activité humaine est souvent une activité mixte; ainsi l’homme politique peut faire appel dans son activité propre à ses relations amicales et à ses dons d’orateur. Seules la contemplation et parfois la création artistique impliquent une grande autonomie d’exercice, et représentent des modalités très pures d’activité humaine. L’homme politique ou l’artiste sont hommes et ne peuvent ignorer la dimension morale de la personne; implicitement et réellement présente dans leur activité, cette dimension morale assure, garantit, la qualité humaine – c’est-à-dire respectant la personne Image-de-Dieu – de leur fin spécifique. Si l’activité politique se veut absolue et exclusive, elle défigure la personne en la réduisant à l’individu partie du Tout qu’est l’Etat (…sagesse, contemplation, amour d’amitié disparaissent) et elle tue l’inspiration artistique (…l’artiste doit exécuter conformément aux directives de l’Etat); voir les méfaits de tout régime totalitaire marxiste ou non. Si l’activité artistique, “du faire”, veut être la norme de toute activité humaine, elle conduit à juger des qualités morales de la personne aux seuls résultats visibles et tangibles, et elle dénature le véritable bien commun en ne saisissant que les réalisations artistico-techniques, comme signes de la qualité de l’Etat, du degré de civilisation!

L’étude des activités - types va être l’objet, respectivement, de la philosophie humaine morale, de la philosophie “politique” (disons: de la communauté) et de la philosophie du faire, de l’art (au sens le plus général). La philosophie morale est le second pilier de la philosophie; le “pilier - source” est la philosophie du vivant sans laquelle la morale ne peut être sainement comprise et éclairée. La philosophie première (métaphysique) est le pilier ultime, source de sagesse et de contemplation.


PHILOSOPHIE HUMAINE MORALE

Tous les hommes désirent être heureux, recherchent leur bonheur… c’est même un signe de maladie, de déséquilibre, que de ne pas rechercher son bien. En quoi consiste ce bonheur? Pour les uns, il consiste dans les satisfactions de la chair, des sens; pour d’autres, dans la vie “imaginative” ou la création artistique - artisanale; pour d’autres dans la maîtrise parfaite de soi (voir les stoïciens); pour d’autres dans la saisie de la vérité ou dans la conquête des espaces (océans, déserts, montagnes); pour d’autres…

La philosophie du vivant nous enseigne que l’homme atteint sa fin par l’exercice de ses opérations; donc, le bonheur de l’homme – la fin désirée conquise – se réalise dans l’exercice, dans l’épanouissement de son activité vitale… il y a autant de bonheurs, de biens, qu’il y a de modalités d’activité vitale… aucun de ces biens n’est exclusif. Mais, cette diversité est ordonnée, “hiérarchisée”, en fonction même de la structure profonde du vivant - homme; volonté et intelligence doivent exercer leur gouvernement sur toutes les activités végétativo-sensibles – le boire et le manger ou l’activité sexuelle reçoivent leur “label spirituel” dans le repas amical ou la procréation donnant naissance à de nouvelles “Images-de-Dieu” – et apprendre à se gouverner elles-mêmes… ce qui est le plus difficile! Si l’intelligence est mal éclairée et si la volonté est séduite par des pseudo-biens, la personne morale est défigurée, le chaos s’installe dans la diversité des biens relatifs “laissés à eux-mêmes”… le poids des activités végétatives – qui sont génétiquement premières – est très grand, très lourd.

Nécessité d’une pédagogie, d’une éducation pour permettre l’éclosion, la croissance et l’épanouissement de la personne morale… hélas, toute éducation vraie est mise sous le boisseau tant à l’école que dans la famille… trop souvent l’adolescent ne s’épanouit plus en un adulte vrai, responsable…

La philosophie morale implique l’étude:
* des actes humains… intentions, choix, décisions… analyse de la manière dont intelligence et volonté cheminent “la main dans la main”;
* de la responsabilité (morale)… dimension la plus profonde de la personne… liberté et conscience morale;
* des vertus… la vie spirituelle exerce sa maîtrise sur le devenir humain;
* de l’amour d’amitié et de la contemplation… bonheurs - biens ultimes, achevés de la personne humaine.

LES ACTES HUMAINS

L’agir humain, moral, implique conscience, lucidité, et orientation vers une fin aimée, désirée: acquisition d’une vraie sagesse naturelle, formation d’architecte et exercice de ce métier, mariage et vie familiale, etc. Cette fin exerce son influx, son attraction sur le déroulement, le devenir de l’agir moral; elle est le moteur, l’énergie - source de ce devenir, permettant de passer des intentions aux réalisations, et donnant son dynamisme à l’agir humain… dynamisme qui se manifestera lorsque des obstacles, des difficultés, se présenteront sur le chemin de la “conquête de la fin aimée”. Les fortes personnalités, les “grands hommes” – philosophes, conquérants des océans ou des montagnes, chercheurs et découvreurs scientifiques, hommes politiques ou artistes… jusqu’aux père et mère de famille luttant pour le bien de la famille, des enfants – manifestent cela avec évidence.
Le bien - fin exerce sa causalité en attirant à lui, en proposant son attrait - attraction à nos facultés spirituelles d’intelligence et de volonté; maîtresses de leur devenir, nos facultés répondent librement à cet attrait… d’où l’engagement, la responsabilité (morale) de la personne.
En son exercice, la cause finale -- cause des causes -- enveloppe l’exercice des autres causes… elle s’en sert “politiquement” -- leur laissant une autonomie propre -- et non tyranniquement.

Notre intelligence et notre volonté sont aptes à recevoir l’influx de la Fin, à “se mettre à son écoute”. Diversité des actes humains :

Les actes humains: moments essentiels dans le devenir de l’agir humain:
* Nous sommes en présence d’un entrelacs d’actes intellectuels et d’actes volontaires… intelligence et volonté coopèrent étroitement (il n’y a pas de “distance” entre elles!)… la décision, acte intellectuel, est tout pénétré de volontaire; le choix, acte volontaire, est tout pénétré d’intelligence.
* Le désir (la fin est aimée et non possédée) enveloppe ce devenir de l’agir moral… nos désirs marquent profondément notre personnalité; si de vrais, de grands désirs n’enveloppent plus notre agir humain, notre personnalité se meurt… la lassitude, la démission (morale), le désespoir s’installent… la porte peut être ouverte aux paradis artificiels, à la violence.
Ami, n’arrête jamais tes désirs, tes profonds désirs d’homme - Image de Dieu!

Le déroulement de l’agir moral n’a pas toujours cet état de perfection; certaines étapes demeurent dans la pénombre, voire sont escamotées (le conseil, par exemple); pratiquement, ce n’est que par “touche et retouche” successives, que l’acte moral atteindra, avec le temps, son développement parfait, achevé… nous sommes des esprits incarnés très conditionnés par les degrés de vie sensible et végétative, et par notre milieu de vie familial, social ... l’éducation reçue dans le milieu familial, avant même l’âge scolaire, peut être très déterminante pour le développement de notre personnalité. Un exemple: l’attrait réel, mais confus, que nous ressentons pour la “vérité” – qu’est-ce que la vérité? – peut nous orienter, dans un premier temps, vers l’univers des connaissances scientifiques, mathématiques; une connaissance un peu sérieuse de ces vérités manifeste leurs limites; notre amour de la vérité va se renforcer – nous ne cessons pas le “combat”, vu que notre désir est fort – et nous orienter vers la conquête d’une sagesse dite philosophique; notre intention s’oriente avec force vers cette sagesse et les moyens de l’acquérir… une phase d’enquête, de conseil, se présente: faut-il suivre des cours universitaires ou se mettre au désert pour se plonger dans tel grand philosophe? …une décision doit être prise: se mettre à l’étude d’Aristote, le maître de ceux qui savent, sous la houlette d’un maître… enfin, la joie ressentie, au fur et à mesure de nos progrès, amplifie notre amour de la vérité: signe que nous avons “misé” juste. L’adage classique nous dit: “ce qui est premier dans l’intention – amour - désir de la vérité,… conquête des “8000” – est dernier dans l’exécution – contemplation… être comme Messner –” …la phase de labeur, travail, l’usage est déterminante: lire et relire, s’interroger, essayer de comprendre… entraînement technique intensif (glace, neige, escalade, altitude,…).

Analysons les actes humains en particulier:
Amour (volontaire) et intention
L’amour initial, source, est le fruit de la réponse positive de la volonté à l’influx - attraction du bien - fin; la volonté accepte librement cet influx et s’oriente vers ce bien; la volonté “se laisse prendre” et “se porte vers”, d’où une communion, une unité naissante entre la volonté et la fin. Cet amour initial est source du dynamisme de croissance traversant le déroulement de l’agir humain et s’épanouira dans la conquête de la fin ... tout particulièrement dans la contemplation et l’amour d’amitié.
L’amour volontaire implique un minimum de connaissance (confuse, voilée) de la fin par l’intelligence: “On ne peut aimer, désirer, ce qui n’est aucunement connu”; cet acte de connaissance très pauvre est parfois appelé “intellectus”. L’amour volontaire se distingue de l’amour - passion regardant un bien sensible, et doit exercer son gouvernement sur l’homme sensible s’il veut être ce qu’il doit être et ne pas se dénaturer (voir les vertus); l’amour - passion est d’abord possessif, l’amour volontaire a une “note extatique”. En orientant vers une fin --digne de la personne - Image-de-Dieu -- l’amour volontaire donne à la personne les “prémices” d’une unité intérieure, fondamentale et réelle… la personne est d’autant plus “une” (avec elle-même, en elle-même, et donc avec les autres) qu’elle est plus finalisée ... tout particulièrement par la contemplation de l’Etre premier et l’exercice de l’amitié vraie.
L’Etre premier - Dieu et la personne faite à Son image: l’Etre premier, Amour substantiel, exerce son “influx d’amour - lumière - vérité” sur la volonté et l’intelligence; concréées avec l’âme par Dieu, ces facultés gardent en elles, profondément enraciné, un “instinct divin”. En donnant, librement, son “oui” à cet attrait divin, la volonté manifeste que la personne se reconnaît Image-de-Dieu; son désir d’amour - lumière - vérité s’intensifiera… sa liberté intérieure, véritable, rend la personne de plus en plus autonome envers les moyens, les conditionnements… sa joie s’épanouit. En refusant cet influx, la personne ne se reconnaît pas “Image- de-Dieu”… la personne se dégrade pour ne plus être qu’un individu psychologique et sociologique soumis aux multiples esclavages des moyens, des conditionnements…
L’amour volontaire se veut réalisateur: sa dimension “active… se porter vers” s’explicite, s’amplifie (sans s’opposer à sa dimension “passive… se laisser prendre”); cet amour se porte non seulement vers la fin, mais aussi et conjointement vers les moyens de l’atteindre, de l’acquérir: c’est l’acte d’intention. L’intention ferme, forte, oriente notre vie, dynamise l’exécution et qualifie notre personnalité – la vie morale n’existe que du moment que l’homme peut poser une intention véritable –; elle est le moment, l’étape la plus réaliste selon la cause finale dans le déroulement de l’agir moral. L’intention, pour être pleinement elle-même – et ne pas se dégrader en velléité… “l’enfer est pavé de bonnes intentions”… rêverie – doit rester enracinée profondément dans l’amour et être fruit - épanouissement de cet amour; l’intention coupée de l’amour risque de mettre la fin dans les moyens… elle perd sa noblesse.

Conseil - consentement - choix
Nous sommes dans la phase de l’agir humain qui regarde les moyens.

Conseil: l’intelligence fait son enquête sur les moyens propres à atteindre la fin désirée; cette enquête doit être très ouverte: elle se fait auprès de ceux qui savent, de ceux qui ont de l’expérience… elle ne néglige pas l’avis de ceux qui nous connaissent le mieux (parents, amis)… elle peut aussi être “pervertie”: on choisit délibérément de mauvais conseilleurs… Par ailleurs, l’intelligence porte un jugement d’estimation sur les moyens proposés; chaque moyen est pesé, jugé, en fonction de son adaptation à la fin (est-il bien convenable pour atteindre la fin?), de son efficacité (fait-il gagner ou perdre du temps?) et de sa “réalisabilité” (est-il réalisable pour moi “hic et nunc”?). L’intelligence prend aussi conseil auprès d’elle-même: elle examine tous les moyens possibles et juge de leur qualité. Cette phase de conseil est parfois “dangereuse” chez l’intellectuel: d’une part, l’intelligence orgueilleuse ne veut recevoir de conseil de personne; d’autre part l’intellectuel peut aimer de demeurer dans cette enquête ... ce qui est une échappatoire à l’exigence de réaliser. L’obéissance (du soldat, par exemple) supprime le conseil.
Consentement: il représente simplement l’accueil par la volonté des moyens jugés acceptables par l’intelligence.
Choix: sous l’influx de la fin, de l’attraction exercée par le bien aimé, la volonté élit, préférentie tel moyen… “le choix a ses raisons que la raison ignore”! Cette préférence amoureuse pour tel moyen rend “partisan”, c’est-à-dire qu’elle implique sacrifices, renoncements, aux autres moyens possibles, mais ne doit pas faire de nous des sectaires condamnant les autres moyens… l’amour de tel moyen doit toujours demeurer mesuré, relatif à la fin: il n’y a pas de “mystique” des moyens! Le choix, sommet de cette phase regardant les moyens, peut être héroïque si son adaptation à la fin dépasse de beaucoup nos possibilités de réalisation. Le choix peut être faussé, si l’emprise des passions du concupiscible est trop grande …nous choisissons la personne ‘élue’ en fonction de la beauté de son corps et non de ses qualités d’âme.

Décision - usage - “Fruition”
Nous entrons dans la phase de l’agir humain qui regarde l’exécution - usage - réalisation et s’achève dans la “fruition”.

Décision: L’intelligence donne l’ordre de réaliser, d’exécuter, ce qui a été choisi; c’est un commandement intérieur que nous nous donnons à nous-mêmes et qui engage notre responsabilité. Ce commandement doit être clair, net, précis -- un commandement ambigu, équivoque, serait dénaturé… une tricherie envers nous-mêmes -- et fort, dynamique, impératif -- …décision = “imperium”…-- puisqu’il déclenche et doit pénétrer tout le temps de l’exécution. La décision - imperium est un acte d’intelligence tout pénétré de volontaire ... il est de l’ordre de la cause efficiente s’exerçant “à l’ombre” de la cause final, c’est pourquoi, il relève de l’intelligence plus que de la volonté. Le champ d’application de l’imperium est vaste:
* il porte sur l’exercice de nos facultés spirituelles, sauf la détermination de l’intelligence par son objet, telle qu’elle se réalise dans l’appréhension, et sauf l’orientation fondamentale de la volonté vers la fin ultime, telle qu’elle se réalise dans l’amour initial.
* il doit exercer une emprise, un gouvernement “politique” (et non despotique) sur l’exercice de nos puissances sensibles (voire, dans une faible mesure, sur nos opérations végétatives) …ce qui fait de l’agir humain un agir d’Image-de-Dieu et le distingue radicalement de l’agir animal.
La décision est l’acte humain le plus réaliste au point de vue de la cause efficiente… Il court un double danger:
* s’isoler de la fin et s’exalter dans la volonté, le goût du commandement… donné aux autres (volonté de puissance); * se laisser piéger par les passions de l’irascible.
Usage: L’exécution comme telle implique l’intelligence qui éclaire, dirige, commande, et la volonté qui oriente et assure la réalisation effective; l’usage est avant tout volontaire: une intelligence brillante servie par une volonté faible aura beaucoup de peine à réaliser. L’exécution engage toute la personne; elle implique labeur - travail avec “des creux et des sommets”; elle doit surmonter les obstacles - difficultés… ce qu’elle ne peut faire qu’en étant solidement ancrée dans l’intention, dans l’amour initial. Coupée de l’intention, de l’amour, l’exécution “tourne à vide” … rendement, efficacité, sont alors ses lumières! …stress!.
Fruition - joie: Les facultés spirituelles, la personne, se repose dans la possession du bien - aimé, dans la communion avec lui; ce repos – qui n’est pas un “vide”, mais une plénitude, un acquis au-delà du travail – est source de joie, de bonheur… la personne connaît une unité et une paix intérieures la rendant très autonome, très libre, relativement aux moyens et aux conditionnements.

RESPONSABILITE , CONSCIENCE MORALE ET LIBERTE

Les actes humains que nous posons – tout particulièrement nos intentions, nos choix, nos décisions – nous engagent envers nous-mêmes, envers les autres, envers la communauté, voire envers l’Etre premier; nous sommes responsables des actes que nous posons.
Cette responsabilité morale est la conséquence, le fruit du “dominium”, de la maîtrise que nous exerçons sur nos actes; cette maîtrise manifeste que nous sommes véritablement cause de nos actes: “le vivant de vie spirituelle est celui qui se meut dans ses opérations”. Cette maîtrise implique d’une part: que les actes que nous posons ne nous soient pas imposés de “l’extérieur”… nous agissons librement [cet extérieur peut être la vie sensible, en tant que l’imagination, les passions désordonnées, s’imposent et perturbent l’exercice de notre vie spirituelle… nous sommes alors esclaves de nos passions; plus généralement, cet “extérieur” est tout ce qui s’impose en défigurant la personne Image- de-Dieu]; d’autre part, que nous jugions correctement – c’est-à-dire sous la lumière de la fin désirée, aimée, fin conforme à notre qualité d’Image-de-Dieu – de la nature des actes à poser ou à ne pas poser. Liberté et jugement de valeur conditionnent, structurent notre responsabilité.

Conscience morale
Elle s’exprime dans le jugement de valeur que nous portons sur nos actes humains; ce jugement, oeuvre de l’intelligence, manifeste la capacité qu’a l’intelligence de se juger, de juger le déroulement de l’agir humain, de juger nos intentions, nos choix, nos décisions. Ce jugement n’est possible, ne se comprend que parce que nos facultés spirituelles, notre intelligence, portent en elles-mêmes une “lumière divine”, un “instinct divin” profond, caché… même si l’athée nie cet instinct profond, ce jugement peut se faire entendre dans des circonstances extrêmes, à l’article de la mort en particulier. Ce jugement est très conditionné par les “premiers principes pratiques” acquis pendant la première éducation de l’enfant au sein de la famille… en imitant ce qu’il voit faire, l’enfant acquiert ses premiers principes moraux… sa personne morale en son fondement, en sa racine, est façonnée par cette imitation, cette éducation. C’est pourquoi, ces jugements de valeur peuvent être et sont souvent fort différents d’une personne à l’autre. Les premiers principes spéculatifs naissent dans une grande indépendance par rapport au milieu de vie.
Ce jugement de valeur existe à toutes les étapes de l’agir moral: il approuve nos choix (ou réprouve… influence exagérée du concupiscible, par exemple), nos décisions (ou réprouve… influence exagérée de l’irascible, de la “volonté de rendement”, par exemple), nos intentions (ou réprouve… ne pas se “laisser prendre”, suite à un “a priori” athée, par exemple), notre labeur - travail (ou réprouve notre paresse ou notre zèle mal ordonné). Ce jugement qui se fait entendre avec beaucoup de discrétion peut être écouté, ou rejeté, piétiné… Ce jugement assume le temps; en jugeant nos choix, nous sommes tournés vers le passé; en jugeant nos décisions, nous sommes inscrits dans le présent -- puisque la décision commande l’exécution --, en jugeant nos intentions, nous sommes tournés vers le futur vers la fin aimée à conquérir. Une conscience morale trop axée sur le passé, respectivement le présent, le futur, conduit facilement au scrupule, respectivement à l’indécision, à la neurasthénie.
Nous mesurons combien la responsabilité morale d’une personne, fonction de sa conscience morale, est nuancée, difficile à estimer… non seulement pour l’entourage, mais aussi aux yeux de cette personne. Il demeure que nous devons être attentifs à veiller à la santé de notre conscience morale, à permettre à l’Image-de-Dieu qui est en nous de se faire entendre. Hélas! Non seulement la personne Image-de-Dieu est rejetée dans toute une psychologie moderne; mais, de plus, on refuse à l’enfant le bénéfice de l’acquisition de principes pratiques moraux, sous prétexte de liberté… qui n’est en fait qu’une réduction à l’esclavage, ainsi que ses fruits (violence, sexualité débordante, drogue, suicides…) nous le manifestent.


Liberté morale
La volonté est, ou doit être, maîtresse de son devenir; devenir qui n’est pas purement efficient, mais doit demeurer sous la mouvance de la fin. La volonté donne son “fiat”, son “oui”, à l’attrait de la fin, aux divers moments du déroulement de l’agir moral. La liberté morale est cette modalité d’exercice de la volonté qui exprime, manifeste cette maîtrise, cette souveraineté. La liberté morale parfaite est celle qui résulte de l’orientation de la volonté vers la fin ultime de l’homme Image-de-Dieu, à savoir la contemplation (métaphysique) et l’amour d’amitié; la liberté s’appauvrit, se “dis-qualifie”, lorsque la volonté se laisse séduire par des biens relatifs, intermédiaires, ou par des pseudo-biens.… “la personne humaine est libre dans la mesure où elle est finalisée par le souverain bien”. Cette liberté souveraine, parfaite, implique une “indifférence” -- qui ne veut pas dire mépris -- envers les moyens… les moyens sont vécus et connus pour ce qu’ils sont: des moyens, des relatifs. La personne mal ou non finalisée connaît le poids, l’esclavage des passions, des instincts, des contraintes imposées par la communauté (toute modalité de communauté)… elle en souffre (plus ou moins) “bêtement”… alors que la personne bien finalisée peut connaître une vraie liberté morale même sous la “botte de l’occupant” ou devant la mort (voir Socrate).
Nous pouvons distinguer diverses modalités d’actes libres:
* Une liberté d’exercice fondamentale, la plus enracinée: “se laisser prendre - se porter vers”… elle regarde immédiatement la fin, son attraction, son influx… elle qualifie nos intentions, notre amour initial; ce qui est premier est aussi ultime: c’est pourquoi, nous pouvons dire que la liberté donne sa qualité à l’amour parfait, achevé… nous sommes créés libres pour pouvoir aimer en vérité. En aimant la Fin ultime, l’Etre premier, Amour substantiel, nous connaissons, expérimentons, la souveraine liberté.
* Une liberté d’exercice (efficiente) au niveau de la décision, de l’usage: “faire - ne pas faire”… c’est la modalité de liberté la plus courante, la plus immédiate; celle qui, lorsque l’agir moral est coupé de la fin, peut devenir tyrannique pour soi et pour les autres (…cela est interdit: donc, je le fais…).
* Une liberté de spécification - détermination: “ceci ou cela”, qui se manifeste principalement dans nos choix, donc relative aux moyens.
Ces modalités diverses de liberté doivent être bien ordonnées, s’harmoniser pour épanouir notre liberté; la liberté d’exercice (efficiente) peut mettre un obstacle sérieux au développement de notre personnalité: le “non”, psychologiquement, apparait plus fort que le “oui”, et semble mieux épanouir notre personnalité.

RESPONSABILITÉ MORALE
Elle donne à la personne sa qualité la plus noble. Etre responsable de notre agir, de nos actes, en les assumant pleinement, est le signe d’une vraie et forte personnalité; “être responsable” est le fruit d’un travail intérieur, profond; “être responsable” se manifeste, “se construit” à tous les niveaux de l’agir humain. La responsabilité la plus fondamentale, la plus profonde, se situe au niveau de nos intentions; elle implique notre liberté d’exercice (fondamentale) et notre jugement de conscience morale regardant le futur; elle donne à notre personnalité une dominante caractéristique: la sécurité… sa déficience ouvre la porte aux angoisses d’insécurité. La responsabilité existe aussi au niveau de nos choix; elle implique notre liberté de détermination et notre jugement de valeur regardant le passé; elle donne à notre personnalité une dominante caractéristique: la valeur… sa déficience ouvre la porte aux angoisses dites morales. La responsabilité la plus visible se situe au niveau de nos décisions et de l’exécution; elle implique notre liberté d’exercice (efficiente) et notre jugement de valeur regardant le présent; elle donne à notre personnalité une dominante caractéristique: l’autonomie… sa déficience conduit aux angoisses dites du réel. Ces notes dominantes et ces formes d’angoisses sont bien connues des psychologues; sécurité, valeur, autonomie devraient se fortifier, s’épanouir en harmonie.
Notre responsabilité est très conditionnée par notre éducation, par le type de société… Marxisme et freudisme (en tant qu’ils réduisent l’homme à n’être plus que partie du Tout - Etat ou à sa dimension sensible - végétative), et sous leurs influences le monde contemporain, ont perdu le sens de la responsabilité morale… l’homme n’est plus responsable de son agir [conseil donné à un “supérieur” (militaire, politicien, homme d’affaires, etc): “Ménage-toi toujours un subalterne qui puisse porter la responsabilité de tes actes, de tes décisions”!]… règne de l’anonymat…
Ne confondons pas la responsabilité morale et la responsabilité civile; celle-ci se juge en fonction des lois de la Cité. La responsabilité morale est cachée, secrète… il est difficile d’en juger.

Schéma - esquisse d’organisation:


LES VERTUS

La personne humaine, esprit incarné, vit dans une unité de vie plus ou moins harmonieuse; le bien ultime, propre à l’Image-de-Dieu – contemplation, amour d’amitié – en attirant à lui ne supprime pas la complexité du vivant - homme: les passions mal réglées, désordonnées, l’imagination, les instincts, risquent toujours d’interférer avec la vie spirituelle et ses exigences propres. La personne (morale), qui naît dans un état d’enfance non seulement physiologiquement, mais aussi psychologiquement et spirituellement (d’où sa fragilité, ses possibilités d’erreurs, d’égarements, de conflits… c’est là un fait d’expérience) doit apprendre à se gouverner.
La personne s’épanouit, sa vie morale grandit et s’affermit par l’exercice répété d’actes moralement bons. Le sportif - athlète acquiert ses qualités sportives spécifiques par l’exercice répété d’actes physiques réussis; de même, les habitus intellectuels de sciences et d’arts sont acquis par l’exercice répété des actes correspondants. L’exercice répété d’actes moralement bons permet à la personne morale d’acquérir des qualités morales: les vertus.
Les vertus ne sont pas à confondre avec les habitus intellectuels spéculatifs (regardant la saisie des premiers principes : intellectus , ou les conclusions-synthèse : sagesse , ou les raisonnements : sciences) ou pratiques (regardant l’exercice des différents arts) ... ces habitus intellectuels sont aussi des qualités acquises par l’exercice d’actes intellectuels réussis!.
On distingue quatre vertus principales, dites cardinales:
* La tempérance, qui a pour mission de rectifier les passions du concupiscible, de permettre à la vie spirituelle d’exercer sa régence sur la vie sensible et végétative.
* La force, qui joue un rôle analogue envers les passions de l’irascible.
* La justice, qui règle “équitablement” les rapports entre la personne et les autres personnes, entre les personnes en vue du bien propre à la Cité - communauté; elle apprend à respecter les droits de l’autre personne et à connaître ses propres droits.
* La prudence, qui permet à la personne d’exercer un gouvernement vrai et éclairé sur elle-même, sur ses activités (particulièrement appétitives et sensibles).
Ces quatre vertus sont “interconnectées” entre elles… une dominante peut se présenter… mais, on ne peut être “spécialiste” d’une vertu (les autres étant négligées)… elles progressent (ou régressent) en étant profondément reliées.

Tempérance
La volonté, éclairée par l’intelligence, veut et doit exercer son pouvoir - dominium sur les passions du concupiscible et sur les instincts de la vie végétative. La vertu de tempérance, dont le siège est dans la volonté, modère, tempère, rectifie l’exercice de ces passions et de ces instincts. Cette maîtrise exercée par la volonté implique: d’une part que les biens sensibles - végétatifs soient relativisés (aucun absolu, aucune finalité n’est mis en eux), et, d’autre part, que le coeur de l’homme ne soit pas détruit dans sa sensibilité; un juste milieu entre les extrêmes doit être ainsi réalisé. L’homme sensible est harmonisé à l’homme spirituel; tranquillité d’âme et de coeur est le fruit de cet équilibre; la dimension valeur de la personne est confortée, enrichie.
La tempérance, lorsqu’elle s’exerce à l’égard du boire, du manger ou de l’activité sexuelle, prend une note très spécifique et donne naissance aux vertus annexes de sobriété, d’abstinence, de chasteté et de pudeur, ainsi qu’elle sont traditionnellement appelées.

Force
La volonté, éclairée par l’intelligence, veut et doit exercer son pouvoir - dominium sur les passions de l’irascible. La vertu de force, dont le siège est dans la volonté, permet l’exercice de cette maîtrise de l’esprit sur l’irascible et sur tout ce qui regarde les situations difficiles de la vie sensible et végétative. Les passions sont “mesurées” – ni audace ou crainte excessives, ni espoir ou désespoir démesurés, ni colère folle – afin de permettre à la vie selon l’esprit de s’épanouir en pleine lumière; tout excès, toute démesure provient de ce qu’on met dans les biens sensibles (difficiles à acquérir) une finalité, un absolu, qui ne doit pas s’y trouver. En permettant, en réalisant un juste équilibre dans les passions de l’irascible, la vertu de force oriente le capital d’énergie, de vie, vers les fins propres et spécifiques à la personne humaine. La dimension sécurité de la personne est confortée.
Deux modalités d’exercice se présentent: soit la vertu de force apparait comme une vertu de conquête, d’attaque, soit elle permet de “tenir le coup” dans les difficultés, les échecs, les contrariétés. Comme vertu de conquête, elle doit veiller à ne pas se finaliser dans la lutte… la lutte exaltée pour elle-même est aveu de volonté de puissance supplantant l’amour… et n’est plus le fruit d’une vertu. La force est le plus elle-même dans sa fonction “spirituelle” de “tenir le coup” en maintenant les intentions profondes de la personne en toute circonstance (ce qui est le plus difficile); c’est en intériorisant la lutte, en l’élevant grâce à la vie de l’esprit, que la force surmonte les obstacles, le poids des échecs. En péril de mort, elle donne à la personne une force d’âme fondée sur l’immortalité de l’âme et l’espérance d’un bonheur éternel. La force, vertu volontaire, a une noblesse particulière puisqu’elle regarde le sommet de la vie sensible (niveau cinq), et, en même temps, qu’elle dynamise et fortifie de l’intérieur la vie de l’esprit.
Plusieurs vertus annexes se situent en dépendance de la vertu de force:
La patience modère les désirs trop efficients d’obtenir des résultats rapides palpables et visibles; elle laisse travailler le temps et les événements.
La persévérance permet de maintenir la fidélité aux grandes intentions de vie aux travers des luttes longues et tenaces… à la limite, la vertu de martyre (sanglant ou non) peut être considérée.
La magnanimité permet d’agir en réglant notre action sur nos vrais capacités, sur notre vraie valeur… il faut beaucoup de force intérieure pour se jauger selon sa vraie valeur et agir en conséquence… la magnanimité donne à l’âme une noblesse intérieure.
Justice
La personne, toute personne, a un droit fondamental et essentiel – droit naturel – à exercer les activités propres, nécessaires à l’épanouissement de l’Image-de-Dieu en elle; à savoir:
* vie affective spirituelle impliquant le choix (libre) d’un ami et l’exercice de l’amitié;
* vie de l’intelligence impliquant le droit à la vérité et l’exercice (in fine) de la contemplation;
* vie familiale impliquant le droit de fonder une famille (par le choix libre d’un conjoint) et le droit à la procréation et à l’éducation (de base, première) de l’enfant;
* vie religieuse impliquant le respect de sa propre conscience morale, de sa liberté (morale) et de celle des autres personnes.
Par ailleurs, de droit naturel aussi la personne a droit à la nourriture, au logement (assurant un minimum d’intimité pour la famille en particulier) et au vêtement; ceci dans une mesure modeste, raisonnable… fonction du type de société. Il existe aussi un certain droit de propriété – très conditionné par le milieu de vie – envers ce qui est légitime et nécessaire à l’épanouissement de la personne (et de sa famille) (livres, outils de paysannerie, matériel d’artiste,…).
La vertu de justice, dont le siège est dans la volonté, nous donne de respecter les droits propres à toute personne, à l’autre personne – ce qui implique le respect des consciences, de la liberté morale et de l’intégrité corporelle – et de faire respecter nos propres droits personnels. La justice épanouit l’autonomie de la personne en donnant, concrètement, un sens exact de cette juste autonomie.
La vertu de justice implique pour s’exercer, s’épanouir, une Cité - communauté; elle structure celle-ci en lui donnant son visage humain, en en faisant une Cité d’hommes; cette structure est d’autant plus profonde et vraie que le Bien commun propre à la Cité est plus parfait, achevé… et que les membres de la Cité sont plus profondément “homme”… la tempérance, la force permettent à la personne d’être plus juste envers elle-même et envers les autres. Les relations d’amitié entre deux amis (communauté limite) impliquent la justice: comment aimer en vérité son ami, si l’on ne respecte pas ses droits personnels les plus profonds?

Diverses modalités de justice s’exercent dans la Cité pour lui donner son unité, sa cohérence:
La justice commutative, génétiquement première, fondamentale, règle les rapports entre citoyens, entre égaux.
La justice distributive règle les rapports de celui qui détient une autorité, le “supérieur”, aux membres de la Cité; elle est d’autant plus manifeste et nécessaire que la communauté est plus structurée et qualifiée par un Bien commun de haute perfection; elle exige de la part de l’autorité gouvernante un sens aigu de sa responsabilité (morale et civile), ainsi que le respect des consciences, de la liberté (morale) et des qualités de chaque citoyen.
La justice générale ou légale est celle exercée par le citoyen en tant qu’il regarde le Bien commun de la Cité, qu’il met ses talents au service de ce Bien commun et qu’il respecte les lois éditées par l’autorité – ces lois expriment les exigences à suivre pour sauvegarder le Bien commun.
Les justices distributive et légale donnent sa perfection et son unité à la Cité - communauté et s’exercent au service du Bien commun et de l’épanouissement des citoyens.

Trois vertus annexes s’explicitent en dépendance de la justice:
* la religion apprend à respecter les droits de l’Etre premier, Créateur et Providence;
* la piété apprend aux enfants à respecter les droits légitimes des parents et à tout citoyen à respecter les droits des “anciens”;
* l’obéissance apprend à respecter les “commandements de Dieu” (tels qu’ils sont inscrits dans l’ordre naturel) et à respecter les lois de la Cité.

Prudence
Les activités de l’agir humain impliquent une étroite coopération de l’intelligence avec la volonté; l’intelligence est guidée par la fin, le bien aimé - désiré qui oriente la volonté; elle se met au service de l’acquisition, de la conquête du bien concret, existentiel. Cette activité pratique, “incarnée”, est moins connaturelle à l’intelligence que l’activité spéculative orientée vers la conquête de la vérité. [Entre ces activités pratique et spéculative il n’y a pas d’opposition, puisque la vérité est elle-même un bien.] C’est pourquoi, l’intelligence doit être éduquée, apprendre à se mettre au service de la volonté, à se laisser guider par l’influx du Bien - Fin désiré; elle doit acquérir au travers des luttes, en posant des actes réussis, une qualité qui la perfectionne: la prudence.
La vertu de prudence est la vertu du gouvernement intérieur que toute personne doit exercer sur ses activités morales et politiques - communautaires. L’intelligence pratique projette sa lumière sur tout l’agir humain; elle éclaire, de l’intérieur, l’exercice des vertus de tempérance, de force, de justice; elle est la “clef de voûte” de l’édifice moral des vertus et apparait comme une sagesse pratique.
L’homme prudent sait mesurer son engagement personnel et fait preuve d’une responsabilité véritable, éclairée; il sait se servir des expériences passées pour éclairer son agir actuel et futur… il insère son activité dans le présent d’une manière très réaliste… il ne se laisse pas dominer par les événements futurs, ni ne cherche à les dominer. L’homme prudent s’engage avec fermeté, lucidité; il est l’homme des responsabilités, l’homme de gouvernement… la prudence du “petit bourgeois” en est la caricature.
Notons que les activités artistiques, de la création artistique, s’exercent dans une grande indépendance vis-à-vis de la prudence; elles sont guidées par une inspiration. Les habitus d’art et la prudence sont distincts, bien que leur siège commun soit le même: l’intelligence pratique.

L’acquisition des vertus implique beaucoup de volonté, de discipline envers soi-même; une (auto-)éducation est nécessaire. Ces qualités morales sont susceptibles d’être toujours plus parfaites… elles s’approfondissent, se fortifient au travers des luttes [Ainsi, celui qui fait de l’escalade, se perfectionne en franchissant des passages techniquement plus difficiles… et cela après plusieurs essais ou échecs.]… Ce sont des qualités acquises et des moyens au service de la conquête de la Fin. Les vertus sont ordonnées à l’amour – à l’exercice de l’amour d’amitié, en particulier… ou de la “concorde” entre citoyens…–; si l’on est juste, fort, tempérant, prudent, c’est en vue d’aimer d’une manière plus authentique, plus vraie, plus parfaite. Toute une morale de type stoïcien et présentée comme chrétienne a exalté la vertu pour elle-même! Cette morale a réduit la vertu à l’observance de préceptes imposés du dehors… cette morale décapitée a eu pour fruit “la nausée” de toute morale, dont notre monde pâtit aujourd’hui! Il faut redécouvrir la valeur de la vertu ordonnée à l’amour, à l’amour miséricordieux.
Notons enfin que telle ou telle vertu est plus liée à tel ou tel moment de l’agir moral: la prudence aux intentions de vie; la tempérance aux choix; la force aux décisions; la justice à l’exécution.


AMOUR D’AMITIE ET CONTEMPLATION (METAPHYSIQUE)

Au terme d’une (auto-)éducation plus ou moins longue et laborieuse, nos facultés spirituelles exercent – ou devraient exercer – leur maîtrise sur le devenir humain, spirituel, de l’homme Image-de-Dieu. Maîtrise ordonnée à la conquête du vrai bonheur, du bonheur le plus propre à l’homme. En quoi consiste ce bonheur parfait, achevé, au-delà de tous les biens particuliers, relatifs, secondaires?
La sagesse naturelle, en philosophie première (dite métaphysique), nous fait découvrir l’existence d’un Etre premier qui est son exister, qui est Intelligence suprême, qui est Amour (dit substantiel) et qui est source (et même créateur) de tous les “existants” que nous sommes. Notre bonheur premier consiste dans la rencontre, la contemplation de cet Etre premier: “Contemplation de la contemplation”, nous dit le “païen” Aristote!

Contemplation
La contemplation de l’Etre premier donne son achèvement, son épanouissement, à notre amour - désir de la vérité, puisque nous le découvrons, le “touchons”, comme Vérité substantielle. Mais, nous ne pouvons saisir le “quid” divin, nous ne pouvons le voir tel qu’il est en Lui-même… nous le contemplons au travers de Ses attributs (cf théologie dite naturelle, partie sommitale de la philosophie première) dans une contemplation intellectuelle fondée sur la connaissance sensible (celle-ci fonde le réalisme de notre connaissance). L’Etre premier, Esprit pur, n’est aucunement atteint par la connaissance sensible… mais, de l’existence (limitée, finie) et des propriétés des réalités sensibles, expérimentées, nous pouvons “remonter” en toute rigueur et certitude à l’existence de l’Etre premier (voir les preuves de cette existence en philosophie première) et à la saisie de Ses attributs. Cette connaissance “de pointe”, contemplative, nous permet alors de porter des jugements de sagesse sur les réalités créées et sur l’homme en particulier.
La contemplation philosophique, sommet de la vie de l’homme-esprit, est axée sur l’intelligence et est assez “ingrate” en ce sens qu’elle ne nous met pas en relation d’amour avec Celui qui est amour… C’est dans une Révélation que l’Etre premier - Dieu se fera connaître et aimer; la contemplation mystique est contemplation - amour, axée sur la volonté (surélevée par la grâce): le croyant contemple dans la mesure où il aime (théologalement).
La contemplation est l’activité la plus originale de l’intelligence, se servant des trois opérations - types (appréhension simple, jugement, raisonnement) sans être réductible à aucune d’elle; “activité” qui est une activité de repos se donnant dans une plénitude de lumière… la communion avec la Fin est réalisée! Cette souveraine activité est la plus indépendante, la plus libre, la plus autonome envers tout conditionnement… activité - source de joie profonde et inaliénable. La vie du philosophe contemplatif est transformée par le contact avec Celui qu’il a découvert comme Source de toute lumière, de toute vie, de tout amour, comme Créateur de son âme et de l’Univers, comme Père de son intelligence et de sa volonté, comme Personne achevée infiniment parfaite, simple et bonne.
“ L’homme ne vit plus alors en tant qu’homme, mais en tant qu’il possède quelque “caractère divin”… Si donc, l’esprit, par rapport à l’homme, est un “attribut divin”, une existence conforme à l’esprit sera, par rapport à la vie humaine, véritablement divine. Il ne faut donc pas écouter les gens qui nous conseillent, sous prétexte que nous sommes mortels, de renoncer aux choses immortelles.” (Aristote le “païen”, Ethique de Nicomaque).

Amour d’amitié
De toutes les réalités que nous expérimentons, la plus parfaite, la plus achevée, est l’homme, la personne humaine; un tissu de relations fort diverses et complexes nous unit à l’autre, aux autres. Une autre modalité de bonheur se présente, se réalise dans la rencontre avec l’autre; celle que l’on appelle amour d’amitié.
L’amour d’amitié représente la forme parfaite, achevée de l’amour. L’amour volontaire initial – complaisance envers le bien - fin qui attire – pour telle personne s’achève et s’épanouit dans l’amour d’amitié. L’amour sensible s’intègre, avec discrétion - discernement, dans l’amour d’amitié. Cet amour implique le don personnel de l’ami à l’ami: l’ami se donne à son ami selon ce qu’il a de meilleur en lui. Ce don personnel implique une très grande confiance en l’ami et un bien de réciprocité; l’ami ne peut se donner à l’ami que si celui-ci se donne à son ami… sinon l’échange d’amour ne serait plus vrai… le circuit d’amour serait coupé. Ce don mutuel doit épanouir l’Image-de-Dieu qui est en chacun des amis: c’est là l’effet, le signe aussi, de l’authenticité du lien d’amitié. Ce don mutuel respecte les qualités propres à chacun des amis en les épanouissant. Cet amour d’amitié peut toujours croître et se dépasser… l’amour implique une surabondance, qui ne se laisse pas enfermer dans des limites. Amour éclairé, lumineux, il implique une harmonie entre les volontés, et aussi les intelligences, des amis. L’union des amis peut s’épanouir dans une vie commune et une activité commune (savants travaillant en laboratoire de recherche ou en quelque observatoire astronomique, artistes présentant un spectacle – les gens du cirque forment une grande famille – etc).
Diverses modalités d’amour d’amitié existent: amour paternel et amour filial, typiques du lien parents - enfants et aussi d’un “lien spirituel” (maître - disciples); amour fraternel entre frères et soeurs (selon le sang), entre contemplatifs - philosophes, savants ou artistes; amour conjugal liant l’époux et l’épouse (ayant pour fruit l’enfant). L’amour d’amitié vrai n’est pas un amour égoïste, enfermant les amis sur leur lien affectif; au contraire, étant amour, il implique ouverture et accueil à toute autre personne avec laquelle une telle communion peut se réaliser (bien évidemment, en raison de son lien selon la chair et le sang, l’amour conjugal garde son originalité propre); cette note d’ouverture ne contredit pas le caractère personnel, exclusif, “jaloux” (dans le sens positif du terme) du lien amical… au contraire, plus le lien est fort, vrai, plus l’accueil est présent. Les liens d’amitié qui relient une personne à ses amis sont divers et “hiérarchisés”; la qualité des liens est manifestée par la nature des secrets que nous pouvons communiquer à tel ou tel ami (le secret, connaissance d’ordre affectif, “secret du coeur”, peut être communiqué à l’ami sans que cela soit trahison, divulgation… le secret se distingue du signe et du symbole: le secret est à la connaissance affective ce que le signe (respectivement le symbole) est à la connaissance intellectuelle - spéculative (respectivement connaissance artistique)).
L’amour d’amitié est chose rare: une perle précieuse ayant une dimension d’éternité (puisque située au niveau des âmes immortelles). Hélas, elle peut être ruinée par la trahison de l’ami… c’est, avec l’échec sur la voie de la contemplation, les deux échecs, les deux situations - limites les plus graves pour l’homme Image- de-Dieu.
“ Vouloir le bien de ses amis pour leur propre personne, c’est atteindre le sommet de l’amitié. …Il est naturel que de pareilles amitiés soient rares… Il ne faut accepter quelqu’un comme ami et ne se lier avec lui qu’après avoir constaté des deux côtés qu’on est digne d’amitié et de confiance.” (Aristote, Ethique à Nicomaque).
St.Thomas d’Aquin: “Le véritable signe de l’amitié est que l’ami révèle à son ami les secrets de son coeur. En effet, puisque les amis n’ont qu’un seul coeur et qu’une seule âme, l’ami ne sort pas de son propre coeur ce qu’il révèle à son ami.” (Commentaires de St.Jean).

En cette fin de millénaire sont apparues des doctrines nées en milieu athée – pour lequel Dieu, étant conçu comme le “rival” de l’homme, est rejeté, nié a priori… pour libérer l’homme! – qui placent le bonheur de l’homme dans l’exaltation d’un surhomme:
* par sa volonté de puissance, l’homme exalte son pouvoir sur la création… pour effacer la trace du Créateur… faire de “nouveaux cieux” et une “nouvelle Terre” (un Nietzsche);
* l’homme s’exalte lui-même, se mettant au-dessus de tout bien et de tout mal… se faisant dieu pleinement pacifié (un Freud);
* l’homme travailleur trouve son bonheur dans l’Etat souverain et paternel (un Marx);
* l’homme positiviste se libère de toute métaphysique en n’acceptant que la science des faits et ne reconnaissant comme vérités que celles qui sont mesurables (un Comte);
* l’homme souverainement libre rejette toute finalité et exalte le geste gratuit, absurde (type suicide) (un Sartre).
L’homme défiguré, perverti, est devenu étranger à sa véritable béatitude (naturelle): contemplation et amour n’ont plus de signification!

Contemplation et exercice de l’amour d’amitié donnent son ultime épanouissement à l’Image-de-Dieu que tout homme est. Cet épanouissement implique un exercice équilibré des vertus morales, en particulier de la justice, puisque le contemplatif est inséré dans de multiples communautés (pays, famille, professionnelle,…). Le contemplatif - ami connaît une liberté intérieure profonde; c’est un homme responsable, un homme de paix et de joie. L’exercice de la contemplation et de l’amitié conduit à mettre en évidence des vertus morales secondes:
* le martyre (sanglant ou non) par fidélité à la Vérité et à l’Amour… voir le “païen” Socrate;
* l’humilité dans le prolongement de la magnanimité: connaissance expérimentale de sa vraie valeur et de ce que tout don est don de Dieu;
* la chasteté et la virginité d’esprit (Dieu premier en tout), de coeur (tout homme est vu comme Image- de-Dieu), de corps (corps uni, de la manière la plus forte, à l’esprit, ce qui implique respect du corps de tout homme);
* la religion, la piété et l’obéissance;
* la miséricorde, en présence de la misère de l’autre… la pénitence en présence de notre propre misère.


ADDENDA: POUR LES CROYANTS

La vie pneumatique - sous la motion de l’Esprit - Pneuma - structurée par les vertus théologales, les vertus morales infuses et les Dons du Saint Esprit, ne détruit pas la structure humaine morale de la personne. La responsabilité du croyant est plus engagée: elle est à la mesure des dons divins reçus. La foi ne dévalorise pas l’intelligence, mais lui communique une lumière divine. La vie pneumatique engendre en l’Image-de- Dieu un fils-de-Dieu.

Le fils-de-Dieu en le croyant est appelé à une béatitude surnaturelle transcendant tout bonheur humain, même le plus parfait: participation à la Vie intime de la Très Sainte Trinité… Vie, qui peut être déjà vécue proportionnellement sur Terre. Cette béatitude implique contemplation mystique et exercice de la charité (dite fraternelle); cet amour théologal implique participation au Mystère de la Rédemption… fécondité pour le salut des âmes… en cela, il bouleverse la conception philosophique du bonheur.

La vie morale de la personne humaine apparait bien fragile; le cheminement moral implique luttes, progressions, régressions,… A l’échelle du monde (d’aujourd’hui), nous constatons un déferlement du mal, des passions, de la violence, de la haine,…; déferlement peu compréhensible pour le philosophe; l’emprise - primauté qu’exercent les biens végétativo-sensibles sur les biens spirituels, la complexité de l’homme psychique (si fortement conditionné par son environnement humain), ne suffisent pas à rendre raison de l’ampleur du mal, des ténèbres. Il manque au philosophe la lumière de la foi, qui nous apprend que l’homme n’est pas seul acteur: les anges déchus oeuvrent en vue de contrecarrer le Gouvernement divin (le “Plan” de Dieu), en particulier en défigurant l’homme Image-de-Dieu (exaltation de l’imagination et de l’affectivité sensible; réduction de la personne à l’individu partie du Tout - Etat; négation de l’âme, fruit d’un Geste créateur divin, ce qui permet de considérer l’homme comme l’aboutissement d’une chaîne - évolution purement physiologique;…); ainsi l’homme manque sa vocation divine. La responsabilité de l’homme est diminuée… il est faible: c’est pourquoi, il peut être repris par la Miséricorde divine.